Lundi soir, à l’aéroport d’Ivato, l’air vibrait d’un silence étrange, presque sacré. Dans un cercueil sobre, recouvert du drapeau national, reposait le crâne présumé du roi Toera, dernier souverain du Menabe, décapité par les troupes coloniales françaises en 1897 et dont la dépouille avait disparu dans les réserves du Muséum d’Histoire naturelle à Paris. Après cent vingt-huit ans d’exil forcé, Toera retrouvait enfin la terre rouge de ses ancêtres.
Le lendemain, le Mausolée d’Avaratr’Ambohitsaina, s’est transformé en théâtre de mémoire. Les tambours ont résonné, des militaires ont escorté les reliques, et l’État malgache a donné au retour du souverain la dimension d’un rituel national. Devant la foule recueillie, le président Andry Rajoelina a prononcé ces mots : « L’honneur et la dignité de la Nation exigent que les héros qui ont donné leur vie pour la liberté retrouvent leur place au sein de leur peuple. » Dans cette phrase résonnait le poids de toute une histoire, celle d’un peuple qui n’a jamais cessé de réclamer justice pour ses rois humiliés.
Le peu de documentation accessible raconte que Toera n’était pas un roi ordinaire. Héritier d’un royaume Sakalava en proie aux soubresauts de la colonisation, il incarna, à la fin du XIXᵉ siècle, la résistance du Menabe. En août 1897, dans son village royal d’Ambiky, il choisit de défier les troupes françaises. L’affrontement tourna au massacre : des centaines, peut-être des milliers de Sakalava furent fauchés, et le roi fut exécuté. Sa tête tranchée, envoyée à Paris, devint un macabre trophée de guerre. Mais loin d’éteindre sa mémoire, ce geste attisa la révolte. L’insurrection gagna tout l’ouest de Madagascar et continua de hanter la conscience coloniale.
Mémoire retrouvée
Aujourd’hui, le retour de ses restes marque une étape majeure. Car il ne s’agit pas seulement de restituer un crâne, mais de rendre à un peuple le symbole de sa dignité perdue. Après la cérémonie d’Antananarivo, le cortège funéraire prendra la route de l’ouest, vers Ambiky, dans le Menabe, lieu de son supplice. Là , auprès des siens, le roi Toera connaîtra enfin l’apaisement, et ses descendants pourront accomplir les rites du « Fitampoha », cette purification des reliques royales qui nourrit l’âme Sakalava.
Une image restera gravée dans les mémoires, celle d’un peuple qui accueille, après plus d’un siècle, le retour d’un roi martyr. Dans le fracas des tambours et les prières des anciens, Madagascar a renoué hier avec un pan de son histoire arraché. Et dans la nuit d’Ivato, quand le cercueil a touché le sol malgache, on a senti passer un souffle : celui de la mémoire retrouvée.
Ravo Andriantsalama