Le secteur privé a son rôle à jouer dans la lutte contre la corruption. Le Groupement des entreprises de Madagascar, porte-parole par excellence du secteur privé avec pas moins de 80% des recettes fiscales du pays, dispose d’une commission développement durable et éthique des affaires présidée par Romy Voos Andrianarisoa. Interview.
Dans quelle mesure la corruption peut-elle affecter une entreprise ?
La corruption est un frein anti-développement pour n’importe quelle entreprise, quelle que soit sa taille et quel que soit son domaine d’activité. Les petites entreprises comme les grosses entreprises peuvent être lourdement affectées parce que la corruption, comme on le sait, se situe à tous les niveaux de l’entreprise. Elle peut impliquer les employés, elle peut impliquer les dirigeants mais elle peut aussi impliquer les partenaires des entreprises. C’est un frein anti-développement parce que le manque de transparence peut couter de l’argent à une entreprise, une affaire de corruption peut couter de l’argent d’un point de vue évidemment pénal et juridique par rapport à des poursuites qui peuvent survenir mais aussi de manière très simple. Elle peut aussi handicaper la compétitivité d’une entreprise.
Handicaper la compétitivité ? Pouvez-vous développer ?
Je donne un exemple. Une entreprise a besoin de trouver un partenaire pour acheter 10 00 m de tissu. Si ça ne passe pas par un appel d’offres, ça peut compromettre la compétitivité de l’entreprise car ce ne sont pas forcément les meilleurs et les plus compétitifs qui vont gagner le marché. Ca va se jouer au gré à gré. Dans ce cas, ce n’est pas parce que le dirigeant accordera le marché que c’est le plus intéressant ou le plus adéquat aux besoins de l’entreprise. Au-delà de ça, ce manque de transparence, de professionnalisme dans le traitement des différents appels d’offre et du traitement des besoins de l’entreprise pèsent lourd aussi sur le moral des employés. Si les employés savent pertinemment que quel que soit le besoin émis par l’entreprise, ce besoin sera répondu au gré à gré entre les dirigeants, les employés vont perdre de la motivation. Il y a aussi un risque que les employés entrent dans cet état d’esprit. Ce sont souvent les dirigeants qui donnent l’exemple. Quand les dirigeants font preuve de transparence et de volonté de progrès, les employés s’approprient cet état d’esprit et avance avec l’entreprise.
A l’échelle du pays, comment cela se passe-t-il ?
Il y a différents paramètres aujourd’hui qui font que la corruption soit vraiment un facteur anti-développement pour l’entreprise. A une échelle beaucoup plus large, c’est pire, quand vous avez de gros marchés confiés de gré à gré, de un ça handicape l’entreprise, de deux ça handicape le secteur d’activité car quand les marchés pèsent très lourd, cela peut impacter la compétitivité sectoriel. De trois ça peut handicaper Madagascar en termes de compétitivité. C’est l’une des raisons qui font que le pays tombe très bas dans le classement en termes de compétitivité nationale puisque les investisseurs ne font pas confiance au tissu économique de Madagascar à cause de cette corruption. Donc au final, tout le monde paie un prix trop cher par rapport à cette corruption généralisée.
Vous êtes à la tête de la commission éthique et développement durable du GEM. En quoi consiste votre mission concrètement ?
Dans la commission développement durable et éthique des affaires, notre objectif est double. D’abord de s’assurer que Madagascar à travers son secteur privé s’engage dans une stratégie de durabilité. La stratégie de durabilité est presque démocratisée actuellement. C’est une durabilité sociale. On s’assure que les entreprises veillent au bien être sociale des employés ainsi que des parties prenants autour des entreprises. Ce ne sont pas uniquement les employés qui vont être impactés mais aussi les populations. La capacité à gérer ces impacts sociaux est très importante. Le deuxième pilier, c’est la durabilité environnementale. Cela concerne la responsabilité citoyenne de l’entreprise à gérer les impacts environnementaux liés à ses activités. Il y a enfin l’impact économique. C’est la capacité de l’entreprise à gérer des richesses mais de manière équitable et transparente. La commission doit s’assurer que les entreprises suivent les guidelines, assument leurs responsabilités sociales, assument leurs impacts environnementaux et leurs impacts économiques. C’est très important car aujourd’hui, il n’y a plus 36 manières de faire du business. La seule manière de faire du business c’est de le faire de manière durable sinon on compromet Madagascar, les générations à venir et la population malgache. Personne n’a le droit de faire ça.
Et pour la partie éthique des affaires ?
La deuxième partie c’est la commission éthique des affaires et intégrité. En gros, c’est la lutte anti-corruption. Il s’agit de la mise en place de bonnes pratiques de gouvernance dans les entreprises et là aussi c’est extrêmement important parce que vous avez beau faire un chiffre d’affaires énorme, vous avez beau contribué à la richesse de Madagascar, si à côté de ça vous êtes un très mauvais exemple en termes de transparence, de corruption et de gouvernance, vous détruisez la valeur ajoutée de la croissance économique malgache. C’est inacceptable. La commission éthique des affaires du GEM est une espèce de garant pour que le secteur privé suive les guidelines de transparence, d’intégrité et de durabilité imposés par une croissance économique durable.
Dans le cas où une entreprise ne respecte pas ces guidelines, le GEM prévoit-il des sanctions ?
Les sanctions sont prévues par la loi à Madagascar par exemple si on regarde le décret MECIE (Mise en compatibilité des Investissements avec l'Environnement). Ce décret est un cadre réglementaire qui permet de mesurer et de suivre les impacts environnementaux des entreprises dans le secteur extractif. Il y a des dispositions légales qui existent dans certains secteurs mais pas dans tous les secteurs malheureusement. Aujourd’hui au niveau du GEM, ce qu’on prône c’est la mise en place d’un passeport d’investissement en amont de tout investissement arrivant à Madagascar et qui permet de vérifier justement que l’investisseur respecte ces différents paramètres de durabilité économique, sociale et environnementale et d’intégrité sur tous les secteurs. N’importe quel secteur d’activité a des impacts sur l’un et ou l’autre de ces trois piliers. On prône aussi, la responsabilisation et la sensibilisation des entreprises. Le GEM en tant qu’institution n’a pas le droit de mettre en place des sanctions mais l’Etat le fait. Les outils légaux le font. Le cadre juridique le fait. Nous avons simplement la responsabilité de mettre en place les outils de réflexion, de management, de pilotage et de partenariat avec les différentes institutions qui collaborent avec nous.
Mais au sein du GEM, comment cela se passe-t-il ?
Nous avons une charte des valeurs au niveau du GEM que les entreprises doivent respecter. Le GEM ne peut pas fermer les yeux sur des cas de corruption, sur des cas de mauvaise gouvernance ou sur des cas de maltraitances des employés par exemple. C’est une charte qui engage chacun des membres mais qui ne vaut pas pénalisation ou mise en place de sanction en tant que telle. Néanmoins sur des gros cas de non-respect d’éthique des affaires, je pense que le GEM peut s’exprimer de manière assez notable pour pouvoir les dévoiler. Nous avons commencé une collaboration très active avec le Bianco parce qu’on souhaite soutenir les efforts du bureau dans la démocratisation et la généralisation de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. C’est la responsabilité du GEM aujourd’hui notamment de la commission intégrité que de s’engager dans cette lutte anti-corruption.
Lorsque vous parlez de transparence. A qui s’adresse cette transparence dans la mesure où même pour les journalistes, il est difficile d’avoir des données auprès des entreprises ?
Le problème de mise à disposition des données à Madagascar est généralisé. C’est compliqué d’avoir des données réelles et c’est compliqué surtout d’en avoir de la part d’entreprises qui ne souhaitent pas forcément dévoiler tous les contours de leurs activités. Mais il y a une étude que le GEM va démarrer sur l’état de l’intégrité et de l’éthique à Madagascar dans le monde des affaires et on espère avoir plus de chiffres, de réalité par rapport à cet état de corruption. On va collaborer avec le Bianco sur des données déjà existantes. Lors des échanges avec le bureau, il se trouve que celui-ci dispose déjà de pas mal de données. Il dispose aussi d’un outil qui s’appelle le SMAC ou système de management anti-corruption. Le Bianco recommande d’ailleurs à ce que ce SMAC soit considéré par toutes les entreprises et intégré dans toutes les stratégies d’entreprises. Il y a une double problématique. Il y a le fait que les données n’existent pas ou ne sont pas accessibles et il y a la problématique des données qui existent mais qui ne sont pas diffusées. Je pense qu’il est nécessaire de fédérer et de faire en sorte que cette accessibilité aux données soit une vraie source de capitalisation pour les entreprises mais aussi pour les journalistes et les parties prenantes qui en ont besoin.
Est-ce que vous ressentez dans l’environnement des affaires malgache une volonté d’aller dans le sens de la durabilité ?
Les grosses entreprises qui ont leur siège et leur maison-mère à l’étranger sont encadrées par des lois et des politiques internationales qui les obligent à entrer dans la durabilité. Le secteur extractif en est un très bon modèle. Pour les entreprises qui n’ont pas d’obligations légales, c’est le libre-arbitre. C’est une libre initiative de se dire « oui ou non je m’engage dans une politique de durabilité ». Et c’est là où le GEM joue son rôle pour dire, « vous n’avez pas le choix. Il faut s’engager dans un minimum de durabilité si on veut préserver les ressources malgaches ». Dans ce sens, il y a un véritable travail de sensibilisation que l’on fait et je pense que l’Etat aussi fait un travail phénoménal là -dessus à travers le ministère de l’Environnement et du développement durable. On ne peut pas du jour au lendemain imposer des règles aux entreprises ou aux parties prenantes. On fait un travail de sensibilisation qui progressivement, va sans doute aboutir à des obligations légales. Je pense qu’il y a une conviction des entreprises aussi de vouloir bien faire. Aujourd’hui, plusieurs membres du GEM ont pris l’initiative par eux-mêmes de basculer vers des stratégies de durabilité à travers une transition énergétique par exemple ou à travers des politiques sociales plus respectueuses et bienveillantes. Mais ce n’est pas encore la majorité. Donc il y a encore beaucoup de chemin à faire et c’est vraiment là -dessus que la commission que je dirige doit faire des efforts. Il faut que les entreprises s’engagent sur le chemin de la durabilité sociale environnementale et économique.    Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah Â
Romy Voos Andrianarisoa est country manager de CNOOC China National Offshore Oil Corporation pour Madagascar, une entreprise qui travaille sur un projet d’extraction pétrolière offshore au large de la côte ouest de Madagascar. CEO d’une entreprise de consultance spécialisée dans tout ce qui est transition énergétique transition numérique et accompagnement des entreprises dans les stratégies de durabilité, elle fera partie de la délégation malgache à la COP26 de Glasgow.