L’auteur Anjoanina Ramaroson plus connu sous le nom de Njo vient de lancer un service de streaming pour lire et écouter des livres et des contenus en malgache et en français. Il nous partager son point de vue sur le livre numérique en général et ce qu’il pense de la propension des Malgaches à lire. Â
Studio Sifaka : Pourquoi avoir lancé ce site ?
Njo : J’ai remarqué que les Malgaches, les jeunes en particulier, ont tous un smartphone pour accéder à internet. C’est une habitude de lire et d’écrire sur son téléphone. Tout le monde qui a accès à Facebook lit beaucoup mais c’est la qualité le problème. La qualité de ce qu’on lit. Que ce soit un message, un commentaire, un post … la qualité laisse à désirer. De là , a germé l’idée de créer un site où on peut accéder à partir de son téléphone à du contenu bien écrit.
De qui sont les écrits qu’on retrouve sur le site ?
Jusqu’ici, tous les contenus sont écrits par moi-même. J’ai passé cinq ans à me lever à quatre heures du matin pour écrire. J’écris beaucoup (rires). Mais cela ne saurait durer. Ce ne serait pas soutenable dans le temps. La diversité du contenu est primordiale. Mais il faudra d’abord que le site fonctionne comme il faut. Je ne sais pas encore si cela va marcher comme toute startup. C’est la période de stress intense du lancement. J’ai lancé le site, si des écrivains sont enthousiastes, je suis ouvert à toute discussion.
Quel genre de contenu peut-on trouver sur le site actuellement ?
Il y a surtout de petits livres. Quand je dis livre, ce n’est pas forcément de grand pavé. Le gros du contenu à l’heure où l’on parle ce sont des histoires pour les enfants. Des contes. Il y aura des romans en malgache et en français. Il y aura aussi des nouvelles et des articles de fond pour répondre à des questions comme « pourquoi les Malgaches sont toujours en retard ? ». Ce sont des articles de fond racontés de manière assez attrayante, on va dire.
Quel est le modèle économique du site ?
Une personne peut accéder au site en créant un compte et en payant 23 000 ariary par mois. Il aura accès à tout le catalogue du moment. Le catalogue est appelé à évoluer régulièrement. Comme c’est une startup, ce n’est pas encore définitif.
On dit que les Malgaches, surtout les jeunes, ne lisent pas beaucoup. Votre avis ?
Ce n’est pas vrai. Comme je l’ai dit, les Malgaches lisent beaucoup sur Facebook mais la qualité n’est pas là . Je pense que la lecture est plus que jamais présente. C’est l’offre qui manque. J’ai publié mon roman Lisy Mianjoria, un livre de science-fiction en malgache de 300 pages mais l’accueil était bon. Cela prouve que les Malgaches aiment lire. C’est l’offre qui ne suit pas. Par exemple si une personne aime bien les tables et qu’il y avait un livre qui parle de table dans le contexte malgache, cette personne l’achèterait surement. Quand les gens disent que les jeunes n’aiment pas lire, il faut se remettre en question et mettre en perspective. Il faut des efforts pour faire mentir cette croyance. C’est surtout une question d’offre.
Avec les difficultés que peuvent rencontrer les écrivains malgaches pour se faire éditer, pensez-vous que le livre numérique pourrait être une alternative ?
On sait qu’il y a des problèmes du côté des maisons d’édition. Je conseillerais vivement aux écrivains de s’orienter vers le numérique parce que l’essentiel d’une certaine manière c’est d’être lu. Par exemple, un écrivain peut proposer un premier chapitre sur internet ou approcher lisy1817 pour discuter de ce qu’on peut faire. Dans tous les cas lisy1817 est ouvert et proposera des pistes. J’espère que lisy1817 va susciter d’autres initiatives qui pourraient avoir d’autres angles à proposer. A mon avis, Madagascar devrait avoir plusieurs maisons d’édition et lisy1817 ne devrait pas être le seul site à proposer des livres et des contenus en ligne. Je tiens à préciser que lisy1817 n’est pas une maison d’édition.
Mais qu’est-ce qu’une maison d’édition ?
La maison d’édition s’occupe de l’impression du livre et surtout de la distribution et de la promotion du livre. L’éditeur est aussi comme un coach pour l’écrivain. Il peut le conseiller.
Lisy1817 ne serait-il pas voué à devenir un éditeur en ligne ?
Pas du tout. Le site n’a pas vocation à devenir une maison d’édition de livre électronique. C’est juste un service de streaming. C’est une startup tech.
Depuis combien de temps écrivez-vous ?
J’écris depuis que j’étais petit. J’écris tout le temps mais on m’a surtout connu pour mon roman Lisy Mianjoria. On me connait aussi comme un écrivain francophone. J’ai été publié dans une anthologie de science-fiction en Europe. Dans la langue anglaise, j’ai participé à concours de nouvelles sur le climat organisé par l’université du Ghana. J’étais parmi les gagnants. J’étais le seul gagnant à ne pas être originaire d’un pays anglophone. C’est une fierté pour moi. Sinon, j’ai reçu une bourse pour étudier le cinéma indépendant.
Qu’est-ce que vous écrivez ?
Je n’en avais pas conscience au début mais ce sont les gens qui m’ont dit que j’écrivais de la science-fiction. Je lis beaucoup de science-fiction. Je pensais écrire un roman d’aventure qui explore le temps à Antananarivo et à Madagascar dans une situation apocalyptique. La science-fiction, c’est explorer des réalités alternatives, le potentiel des nouvelles technologies existantes ou imaginaires. Mais au fond ce sont des histoires assez simples. Des histoires de nos quotidiens. Des histoires auxquelles tout le monde peut s’identifier. Le retour des gens me vont droit au cœur.
Qui sont les auteurs que vous admirez ?
Pour les auteurs malgaches, il y a ED Andriamalala qui est un romancier particulièrement doué de mon point de vue mais que finalement peu de gens ont vraiment lu. Il y a Clarisse Ratsifandriamanana, une romancière qui a un sens du réalisme et du romantisme que j’aime bien. Puis il y a JJ Rabearivelo qui s’est suicidé. Pour moi, il est comme une encyclopédie vivante qui, dommage, n’aimait pas la vie. Pour les auteurs étrangers, il y a les auteurs de science-fiction Isaac Asimov et Philip K Dick. Il y a aussi Bernard Werber sans qui je ne serais probablement pas un écrivain. Il y aussi une écrivaine sud-coréenne Han Kang qui a écrit La Végétarienne, Jean Teulé qui a écrit une biographie de Charles Baudelaire totalement folle. La liste est assez longue.
Vous dites que ED Andriamalala n’est pas assez lu. Pensez-vous que le numérique pourrait corriger cela ?
J’en suis intimement convaincu. Il faut lire les classiques du pays. Dommage que ce n’est pas le cas chez nous. Je pense que le livre numérique pourrait inciter un lectorat plus jeune. Il revient aux ayants droits des auteurs classiques de prendre cette voie.
Dans le débat numérique-physique, il y a la question des sens avec le contact avec les pages du livre, l’odeur … En tant qu’amoureux des livres, cela ne vous manque-t-il pas ?
Si. Il y a quelque chose d’irremplaçable avec le toucher du livre, l’odeur, le souvenir aussi qu’un livre comporte. Par exemple j’ai renversé une tasse de café sur une page, ou ce livre que j’avais lu quand je me suis fait larguer … C’est irremplaçable. Mais d’un autre côté, ce genre d’expérience et d’émotion pourrait aussi se retrouver dans le livre numérique. On ne peut pas aller contre le progrès. Il y a d’autres expériences qu’on n’imagine pas encore. Par exemple, quand on lit un livre, on ne peut pas dialoguer avec l’auteur. Avant, on envoyait des lettres à la maison d’édition en espérant que l’auteur va répondre. Maintenant, on a ce contact quasi-instantané. On peut imaginer que sur lisy1817, la personne qui lit peut poser directement des questions à l’auteur. C’est quelque chose d’inédit de pouvoir discuter, faire des remarques ou partager des émotions.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah