Madagascar est devenu début en décembre le troisième pays d'Afrique après le Mozambique et le Ghana à être payé par la Banque mondiale pour la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+). La Grande île a reçu ainsi un paiement de 8.8 millions de dollars, le premier d’une série de trois dans le cadre d’un contrat de 50 millions de dollars conclu avec le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF). La coordonnatrice du Bureau national en charge du changement climatique-REDD+ Lovakanto Ravelomanana nous en dit plus.
Studio Sifaka : Par quel mécanisme Madagascar a-t-il reçu cet argent ?
Lovakanto Ravelomanana : L’Etat malgache a mis en place un programme REDD+ dans les forêts de l’Est réparties dans cinq régions et couvrant 2 millions d’hectares. Cette zone est recouverte de forêts naturelles humides qui ont une bonne capacité de séquestrer du carbone. Cela nous a permis de signer un contrat avec la Banque mondiale et le FCPF qui s'élève à 50 millions de dollars sur cinq ans.
Quelle quantité de carbone devrait être séquestré ?
Sur ces cinq années, nous avons évalué à 10 millions de tonnes équivalent CO2 la quantité de carbone séquestré. La quantification du carbone séquestré implique l'utilisation de diverses méthodes. Avant la formalisation du contrat, des projets de préparation ont été mis en œuvre pour établir la méthodologie. Des opérations sur le terrain et l'utilisation de systèmes d'information géographique (SIG) ont été déployées pour surveiller l'évolution de la superficie forestière. Il est essentiel de souligner que, étant donné la nature contractuelle de l'accord, la démonstration de la capacité réelle de la forêt à séquestrer du carbone est impérative. Ainsi, les 50 millions de dollars sont versés par tranches, suivant une séquence temporelle comprenant des phases de mesure, de notification et de vérification. La réalisation de la première période de mesure a validé la séquestration de carbone, déclenchant ainsi le premier versement de 8 millions de dollars. L’argent est déjà auprès de la Banque centrale.
Comment l’argent sera-t-il réparti ?
La clé de répartition de l’argent perçu à travers les projets REDD+ est définie par le décret relatif à la régulation de l’accès au marché de carbone forestier (DRMCF) adopté en conseil du gouvernement en 2021. L'argent des crédits carbone sera directement versé dans les caisses de l'Etat malgache dans un compte d’affectation spéciale. La répartition se fera selon les activités réalisées définies par le décret et non suivant les acteurs. Les fonds seront principalement destinés à la protection des forêt et à l'amélioration des conditions de vie et des revenues des populations locales. Il est important que ces populations aient conscience que ces forêts leur sont bénéfiques.
Est-ce la première fois que Madagascar bénéficie de REDD+ ?
Il s’agit du premier programme juridictionnel dans le cadre de REDD+ qui concerne plusieurs zones administratives nous avons déjà eu des projets REDD+ à Madagascar répartis un peu partout qu’on peut qualifier de projets pilotes.
Comment les fonds seront-ils utilisés concrètement ?
Le BNCC-REDD+ coordonne les activités dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et les projets REDD+ au niveau national. Le DRMCF veut que 80% financent les activités sur le terrain et 20% soient alloués au fonctionnement et à la supervision. L’argent est géré par les gestionnaires des aires protégées dans les régions concernées. Seulement, ils ne décident pas de l’affectation des fonds. Cela revient aux plateformes régionales REDD+ co-présidées par le gouverneur et le directeur régional de l’Environnement et du développement durable. Toutes les parties prenantes sont représentées au sein de cette plateforme, comme les départements de l’Agriculture et l’Eau mais également les communes. La plateforme se réunit pour décider des activités à financer. Il revient aux entités locales de décider des activités à financer, mais cela doit avoir comme finalité la protection de la forêt et l’amélioration des revenus des populations locales. Concrètement, cela peut être des opérations de reboisement, la création de de pépinière ou la mise en place de patrouilles. L’argent peut aussi financer des activités sociales comme la construction d’école ou de puits.
Qu’est-ce que les projets REDD+ apportent au pays ?
Les projets REDD+ augmentent la capacité des populations locales à protéger les forêts car nos savons combien elles sont inestimables. Non seulement elles peuvent séquestrer du carbone mais elles sont également riches en biodiversité. Il est prévu des récompenses pour les communes les plus performantes. Cela a pour but de motiver davantage la préservation.
Quels sont les points à améliorer dans la mise en œuvre du marché carbone ?
Les principaux points à améliorer sont la célérité des traitements des dossiers. Nous reconnaissons une certaine lourdeur administrative dans le fonctionnement car plusieurs départements sont concernés. Nous avons mis plusieurs années pour mettre en place ce programme par exemple. Par ailleurs, la coordination entre les différents acteurs représente aussi un défi. Le ministère de l’Environnement n’assure que le leadership dans la préservation mais il ne peut pas le faire tout seul car beaucoup de secteurs dépendent de l’environnement et peuvent contribuer à sa dégradation.
Quel est le potentiel de Madagascar en termes de crédit carbone ?
Madagascar a un potentiel considérable pour d'autres programmes REDD+ en dehors de la forêt de l'Est, notamment dans les mangroves réputées pour leur grande capaciter à stocker le carbone. Nos mangroves sont malheureusement menacées. La mise en place tel programme peut augmenter notre capacité à les protéger. Nous avons d’autres zones potentielles mais les capacités de séquestration ne sont pas toujours les mêmes. Bien entendu, il y a les programmes juridictionnels mais cela n’empêche pas les petits projets. Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah